Il est nécessaire d’établir quelques réalités sur les tziganes avant de parler de leur musique. Les mots sont importants, ils sont parfois pleins de préjugés qu’il est préférable de corriger.
Les tziganes ont toujours représentés pour moi un peuple pauvre mais riche de sa culture musicale, de ses violonistes notamment.
Or, ceux que l'on voit dans le métro ne sont pas... comment dirait-on ? à la hauteur de leur réputation !
Pour les trouver, les vrais tziganes, il faut tordre les palissades derrière lesquelles ils sont cachés, pénétrer dans les interstices urbains où ils ont élu domicile, dans les terrains vagues où ils ont construit leurs maisons. Car ils vivent dans des bidonvilles. Ceux-là même que l’on croyait éradiqués depuis longtemps dans l’un des pays les plus riches du monde. Là des gens vivent, sans papiers, sans électricité, sans eau courante, et sans toilettes.
C'est de même que derrière les affiches de concert aux couleurs exotiques, se cachent les tziganes. Et il faut croire qu’ils sont bien cachés car dès que je m’aventure à prononcer le simple mot " tzigane ", il faut tout ré expliquer et pour cela, il faut tout prendre à l’envers. L’expérience se confronte aux mythes composants une hypothétique " essence tzigane ".
Pour la plupart des personnes, qui dit "tzigane" dit "musique", ou "violon". Or dans les bidonvilles, ce n'est pas la peine de chercher un instrument de musique ou un musicien. Où est-elle, alors, cette musique ? Elle est pourtant toujours présentée comme un trait culturel à la base de leur identité, voire comme leur essence même. Elle est souvent le seul aspect positif et reconnu comme tel. C’est peut-être pour cette raison qu'on en parle si souvent. Mais quel peuple n’a pas sa musique ? Le problème, c’est de constamment réduire un peuple à sa culture, et d’en faire un simple folklore. Un bon tzigane est-il un tzigane qui joue du violon ? Ce n’est que trop réducteur et sert à neutraliser tout le reste. Comme si un peuple pouvait vivre par sa musique uniquement! La culture n'existe que par les peuples tandis que le peuple ne peut exister que par sa culture. Ensuite, on trouve la hantise des origines : " Les tziganes sont venus d’Inde il y a dix siècles. " Cette insistance sur leurs origines indiennes n’est là que pour les différencier de nous. Ils ont dix siècles de voyage dans le dos alors que nous, quelques stations de métro nous mènent dans leurs bidonvilles. En effet, quand on évoque le peuple français, il n’y a guère que dans les colloques d’ethnologie qu’on rappelle que le peuple celte a quitté ses " terres natales " de l’Asie Centrale pour aller peupler la France jusqu’à la pointe du Raz. Les tziganes, comme les juifs jusqu’à peu, sont d’ailleurs, ils errent. Pourquoi ? La question ne se pose pas et c’est bien cette question-là qui manque. Les tziganes sont dans l’histoire car ils ne l’ont pas écrite, " ils n’ont ni vaincu, ni conquis ", or, l’histoire est toujours écrite par le vainqueur. De manière plus pragmatique, cette obsession de l’origine sert les discours racistes en apportant une destination toute trouvée pour les tziganes jugés indésirables par certains. Ainsi, on a pu voir dans les années 90 des groupes néo-nazis leur ordonner de " rentrer " en Inde. Enfin, chacun aime à rappeler que les tziganes sont du/en voyage : " C’est un peuple nomade. " Ce nomadisme partout présenté comme une caractéristique fondamentale du peuple tzigane, cet amour du voyage idéalisé par quelque vision romantique de la liberté, ne pourrait-il pas être pris à l’envers, c’est-à-dire, n’être qu’une contrainte. En effet, nomadisme ou sédentarité répondent à des nécessités économiques et ne sont pas des signes spécifiques d’une identité. S’ils sont nomades, c’est parce qu’ils sont constamment poussés dehors par les dominants. D’ailleurs, si l’on s’interroge vraiment sur la signification du mot " nomade ", on apprend vite qu’un nomade est quelqu’un qui se déplace toujours sur le même territoire, au fil des saisons, des troupeaux, etc. Et que cette description ne correspond pas vraiment au nomadisme supposé des tziganes. " Nomades ", " gens du voyage ", cela créé des catégories bien confortables puisque cela permet de ne les voir toujours que passer, d’en faire d’éternels étrangers. La situation juridique des tziganes roumains des bidonvilles français les cantonne au statut de touristes à perpétuité, les critères de Schengen renouvelant l’appellation. En effet, pour rentrer sur le territoire français, les citoyens roumains ou bulgares n’ont plus besoin de visa. Ils sont considérés comme des touristes pour une durée de trois mois au terme de laquelle ils effectuent des allers-retours afin de renouveler leur date d’entrée sur le territoire de l’Union Européenne. La seule alternative à ces voyages administratifs étant de se retrouver sans-papiers. Quant à leur situation en pratique, elle continue elle aussi de recréer l’état de nomade forcé puisque ceux qui sont installés en France sont continuellement déplacés de bidonvilles en terrains vagues par les expulsions successives dont ils sont victimes de la part des autorités françaises. Et puis, il y a toujours cette histoire des " réseaux roumains ".Aussi, ils vivraient exclusivement de la mendicité et/ou de larcins. Ce sont eux les " voleurs de poule ", les exploiteurs d’enfants. Mais, sans papiers, sans maison, sans réseau de connaissance sur le territoire, quels autres choix s’offrent à eux ? Quand on n’a pas le droit de travailler légalement, comment fait-on pour " vivre comme tout le monde " ? Les alternatives sont alors peu nombreuses. Soit on accepte de se poster dans un couloir de métro pour mendier (en moyenne 5 euros pas jour). Soit on aime le confort et le risque, et on se débrouille comme on peut. Il faut le dire et le répéter : il n’y a pas plus de voleurs parmi la population tzigane que parmi les autres. Le cliché a cependant la vie dure car il est bien pratique.
Caroline Damiens
15 novembre 2004